mardi 15 juin 2021

Ikea condamnée à un million d'euros d'amende pour avoir espionné ses salariés


Un million d'euros. Ce mardi, la société Ikea France et un de ses anciens PDG ont été respectivement condamnés mardi à un million d'euros d'amende et à de la prison avec sursis par le tribunal de Versailles. La filiale française du géant de l'ameublement suédois était poursuivie pour avoir espionné plusieurs centaines de salariés, dont des syndicalistes. C'est un million d'euros de moins que ce qu'avait requis le parquet à l'issue du procès, qui s'est tenu fin mars 2021. Le tribunal correctionnel de Versailles les a reconnus coupables de « recel de données à caractère personnel par un moyen frauduleux », mais les a condamnés à des peines moins lourdes que celles demandées par la procureure, qui les accusait de « surveillance de masse ».

« L'enjeu » de ce procès est celui « de la protection de nos vies privées par rapport à une menace, celle de la surveillance de masse », avait déclaré la procureure Paméla Tabardel devant le tribunal, en demandant que la réponse pénale soit un « message fort » envoyé à « toutes les sociétés commerciales ». Outre la société Ikea, quinze prévenus étaient poursuivis dans ce dossier, anciens dirigeants de l'entreprise, directeurs de magasins, fonctionnaires de police ou le patron d'une société d'investigations privée.

Le 30 mars dernier, la procureure a réclamé deux relaxes et treize condamnations, allant de six mois de prison avec sursis à trois ans de prison, dont deux avec sursis, à l'encontre des prévenus. Trois ans de prison, dont un ferme, avaient été requis contre Jean-Louis Baillot, ancien PDG d'Ikea France, accusé d'avoir ordonné la mise en place du système d'espionnage, ce qu'il a vigoureusement contesté. « Je souhaite une peine qui marque la vie de Jean-Louis Baillot », avait expliqué la représentante du ministère public, affirmant que la « politique initiée » par l'ancien responsable avait affecté la vie de près de 400 salariés ayant fait l'objet d'enquêtes privées. Les condamnations seront également annoncées ce mardi.

Une affaire révélée par la presse

Révélée par la presse puis instruite en 2012, cette affaire a mis au jour un système bien rodé de surveillance des salariés et de certains clients. Antécédents judiciaires, relevés de comptes en banque ou encore train de vie… Ikea se voyait reprocher le recel de plusieurs infractions, comme celles liées aux « violations du secret professionnel » et à la « collecte de données à caractère personnel, par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». Le spécialiste du meuble en kit, qui compte 34 magasins et 10 000 salariés en France, était notamment accusé d'avoir obtenu des informations figurant dans le Système de traitement des infractions constatées (Stic), un fichier des services de police répertoriant les auteurs et les victimes d'infractions. Selon la procureure, les pratiques illégales remontaient au début des années 2000, mais les prévenus ne comparaissaient que pour des faits commis entre 2009 et 2012, les années antérieures étant couvertes par la prescription.

L'ancien « monsieur sécurité » d'Ikea France, Jean-François Paris, est le seul des dirigeants à avoir reconnu lors du procès des « contrôles de masse » d'employés. À la barre, M. Paris a répété avoir suivi une consigne formulée par Jean-Louis Baillot. Directeur de la gestion des risques d'Ikea France de 2002 à 2012, Jean-François Paris transmettait des listes de personnes « à tester » à Eirpace, une société spécialisée en « conseil des affaires » dirigée par Jean-Pierre Fourès. C'est ce dernier qui était accusé d'avoir, par l'entremise de policiers, eu recours au STIC, ce dont il s'est défendu. Lors de son interrogatoire, cet ancien policier des renseignements généraux (RG) avait expliqué avoir simplement usé « d'imagination et ingéniosité » pour se renseigner. À son encontre, le parquet a requis une peine d'un an de prison ferme, tandis que trois ans de prison, dont deux avec sursis, ont été réclamés à l'encontre de Jean-François Paris.

La quasi-totalité des avocats plaide la relaxe

Les avocats des prévenus, qui ont plaidé sur deux jours, ont presque tous sollicité la relaxe. Le conseil de Jean-François Paris a par exemple expliqué que si son client a reconnu les faits, il n'a pas « reconnu les infractions ». L'avocat de Jean-Louis Baillot, l'ancien PDG d'Ikea France, a également demandé la relaxe de son client. « En un mot, mon client dit qu'à aucun moment il n'a donné d'ordre ou été associé à cette pratique interne développée par Jean-François Paris, même si cela s'est poursuivi sur plusieurs années », a résumé Me François Saint-Pierre, l'avocat de l'ancien PDG d'Ikea France. « La question n'est pas de croire ou ne pas croire ces déclarations, mais de savoir si des preuves ont été rapportées contre Jean-Louis Baillot », a-t-il ajouté. Mais pour l'avocat, il n'existe ni preuves matérielles ni témoins. « Il n'y a que la parole de Jean-François Paris », a déclaré l'avocat avant de conclure : « La seule parole d'un coprévenu peut-elle valoir preuve ? Le sort d'un homme peut-il dépendre du propos de son coprévenu ? »

Dernier à plaider, Me Emmanuel Daoud, l'avocat d'Ikea France, a également demandé la relaxe de la société, estimant qu'il fallait « restituer à ce dossier la proportion qu'il a » et niant l'existence d'un « système d'espionnage généralisé », comme cela avait pu être présenté à l'instruction. L'avocat a jugé que l'amende de 2 millions semblait « excessive » au vu du dossier. La société, qui a toujours condamné les faits de « collecte irrégulière de données », avait indiqué qu'il n'existait pas de « système d'espionnage » à grande échelle. Dans la foulée des révélations parues dans la presse, Ie géant suédois de l'ameublement avait annoncé une série de mesures éthiques visant à redorer le blason de l'entreprise et à tirer les leçons de ce scandale.

Source : Le Point

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